XXX
_
Ça y'est, t'as fini ?
Dit
Maëlle, complètement à poil devant moi. Elle a laissé tomber sa
voix de robot.
_
Ça ne te suffit pas de pousser tout le monde dans la folie,
maintenant il faut que tu leur tires dessus ? Toi, un
assassin ?!
Maëlle,
tout ça n'est pas vraiment réel.
On
dirait que je me justifie. Un gosse pris la main dans le sac.
_
Bien sûr que si. Et tu le sais très bien. On ne pourra pas réparer
tout ça. Et cette fois, tu ne me feras pas porter le chapeau.
Je
me raconte des histoires, Maëlle, c'est tout. Des histoires...
_
On arrive à la fin, Laurent. Que tu le veuilles ou non. C'est la
fin. La fin de ton monde. Ça n'a pas été facile de te faire
bouger. Une meute de chien, un enterrement dantesque et... ton
nouveau croque-mitaine.
Julien,
le truc qui ressemble à Julien, descend les quelques marches du
perron de la cabane. Au ralenti. Julien-Jason. Julien-Boogeyman.
Je
ne voulais pas te faire de mal, Maëlle ! Je le jure !
_
Ah non ?
Je
ne voulais faire de mal à personne.
_
Paroles, paroles comme toujours.
Je n'étais pas
un « concept », Laurent ! Je vivais ! Et
j'étais morte. Morte et enterrée. Tu vois ce que tu as fait de
moi ?
Dis-lui
de reculer, lui !
Elle
fait non de la tête.
L'enfant
vaudou n'en peut plus de sa magie. L'enfant vaudou va mal finir. Le
Gitan me l'avait bien dit. Le Gitan avait passé son doigt sous sa
gorge. « Tu me dis bonjour, je te dis bonsoir, monsieur ! ».
J'essaie
de bouger, je ne peux pas. Mon doux cauchemar.
Et
après je voulais pas te tuer je ne savais plus quoi faire je voulais
juste arrêter tout ça. tu comprends ?
_
Pauvre petite merde égocentrique, sale pute d'enculé de ta race, tu
crois que le monde va s'éteindre avec nous ? Avec toi, mon
amour ? Tu y crois vraiment ?
Julien
s'approche encore de moi, la carrure solide, les yeux vides, la
chemise d'hôpital sale et déchirée, les pieds tordus, arrachés.
Et
je me prends une énorme pêche dans la gueule.
Je
barbote, je flottille sur le dos, la planche. Comme un bout de bois
mort. J'ai mal à la tête. Le soleil brille à midi. Un oiseau
passe, j'entends des aboiements et des grognements. Je tourne, sur le
ventre. Et tout tourne avec la douleur qui enserre mon crâne.
Les
chiens sautent et courent le long de la berge. Ils n'osent pas aller
dans l'eau.
J'avais
toujours su, quelque part, que je finirais traqué.
Les
flics, les chiens : ma drôle de logique.
Alors
c'est comme ça, c'est ici que j'irai. Soit. Je ne veux plus me
battre.
Je
sens quelque chose sur mes jambes, quelque chose qui les enveloppe.
Quelque chose les attrape.
Je
me débats mais cette chose m'englobe, m'empêche de nager. Ça me
tient jusqu'à la taille.
Je
suis foutu.
Puis
ça m'enveloppe entièrement, le décor disparaît.
C'est
un sac : je le vois avant le noir, et je sens sa jute rugueuse.
Quelque chose le referme et je coule.
Je
coule au fond de l'étang, enfermé dans un sac dans le noir.
Je
ne suis pas seul dans le sac. Elle est avec moi.
_
Je suis avec toi.
Ses
doigts s'enfoncent dans mes côtes, elle me parle et je hurle dans
l'eau, mais j'entends tout clairement. Comme si nos bouches n'étaient
pas remplies de la vase brune de l'étang.
Nous
coulons.
_
C'est la fin, mon amour.
Je
ne sais plus si c'est elle ou moi qui parle. Peut-être nos voix
s'accordent exactement, à l'unisson, à cet instant où elle fouille
en moi alors que nous nous noyons.
Je
me noie et elle arrive encore à me faire mal.
Ses
doigts, ses ongles creusent en moi et je me noie.
C'en
est fini de mes peurs, c'en est fini de la culpabilité.
L'eau
pénètre mes poumons, c'est atroce.
Merci.
XXXI
(Justine-3/Épilogue)
Les
films d'horreur ne nous montrent jamais vraiment comment on lui
survit, à l'horreur. Ou plus exactement, comment les gens continuent
de vivre après le générique. Si il s'agissait de vrais gens...
Quand ils ont triomphé du mal, ou simplement suffisamment encaissé
en restant à peu près entiers, comment peuvent-ils vivre alors
qu'ils ont connu des choses terribles ? Vont-ils simplement
aller chez le psy jusqu'à la fin de leurs jours, le vendredi en fin
d'après-midi pendant les heures de travail, avançant gentiment leur
week-end d'une heure ? Vont-ils simplement accompagner cette
thérapie en bouffant des médicaments pour aller mieux ?
Pourraient-ils seulement caresser l'idée qu'ils aillent mieux, un
jour, qu'ils aillent BIEN ? Après tout ça ?
Je
pourrais penser à ces malheureux qui ont vu leur famille entière
violée, torturée, démembrée, massacrée, et qui restent à
pleurer leurs morts et leur haine après la guerre, la révolution
qui tourne au bain de sang absurde, ou toute autre horreur absolument
terrifiante et sordidement réelle. Impossible de se mettre à leur
place sans avoir vécu quelque chose de semblable, j'imagine...
Mais
non, ce n'est pas à ça que je réfléchis.
Je
me triture les méninges et les émotions à essayer d'intégrer
qu'il y a des choses bien pires, peut-être. Comme se rendre compte
que, finalement, dieu existe et que c'est effectivement un immense
salopard sadique. Ou tellement indifférent, que prendre pleine
conscience de cette gigantesque indifférence vous amènerait
instantanément à griller votre esprit, sans espoir de guérison.
Comme se rendre compte que tout espoir est perdu, à jamais et
totalement.
Mais
il ne s'agit pas de dieu.
Donc :
et si les monstres existaient ? Les inhumains, les surhumains,
les authentiques méchants ? Et si d'autres états étaient,
d'autres états que vivant ou mort ?
Genre :
si les fantômes existaient, devrait-on en prendre note et accepter
ceci juste comme une autre donnée, une autre expérience à intégrer
au gros tas de merditude de la vie ? L'horreur fantastique
perdrait-elle du coup son fantastique, son irréalité, pour ne
devenir plus qu'une autre pépite noire d'horreur factuelle pure ?
Certes encore entourée de mystères, mais tout le monde sait déjà
que les mystères existent. Ce ne sont que des rébus que la science
et l'expérience cherchent à résoudre. Tôt ou tard, ils seront
résolus. Ou on passera à autre chose et on les oubliera.
Peut-on
oublier que l'impossible existe ? Que les fantômes errent sur
la terre ? Que les morts reviennent... parfois ? Peut-on
mettre ça de côté et continuer à vivre sans rien y comprendre ?
Pourrait-on
seulement accepter, et rayer ces choses de la liste sans fin de
l'impossible ? Tout bêtement rallonger la colonne des faits ?
Manu
s'est pendu. C'était il y a un mois déjà. Il n'est jamais redevenu
lui-même depuis ce fameux soir. Depuis le soir où il m'a frappée.
Je
crois que Manu était trop fragile pour accepter le fait qu'il m'ait
violentée. Surtout que dans sa famille, c'est déjà arrivé. Je
crois qu'il a pensé « je deviens comme eux ». Je crois
qu'il ne voulait pas. Je crois qu'il avait trop peur.
Mais
ce n'est pas tout. Oh non. Il avait peur d'elle, aussi. Surtout.
Peur
de ce qu'il s'est passé ce soir-là.
Peur
de ce que ça implique.
Moi
je suis encore là. Je n'ai toujours pas compris. Je ne sais pas s'il
faut que je cherche à comprendre, mais mon cerveau est retors. Il ne
s'est pas encore enclenché dans ce mode survie qui me permettrait
d'occulter. De refouler.
Si
j'en parlais à un psy, je serais bonne pour l'asile. Pourtant les
faits sont là, il y a de multiples témoins qui pourraient raconter
d'autres évènements très troublants.
Mais
ce soir-là, il n'y avait personne pour raconter, pour témoigner. Il
n'y a plus personne d'autre que moi. Il n'y avait pas de spectateur
cette nuit-là.
Il
y avait Manu, il y avait moi et il y avait elle. Et lui aussi,
peut-être ?
Peut-être
UN spectateur, finalement ?
Ou
bien il n'y a toujours eu que lui. D'autres représentations de lui.
D'autres excroissances.
Des
tentacules de cauchemar. Une tentacule partie d'un tout, et non de
grands serpents indépendants.
Voilà
que je m'égare encore. Mon esprit, finalement pas si téméraire,
chasse les souvenirs pour les remplacer par d'autres images glauques.
Mais
tout est en photos dans mon crâne. Même les photos des sons.
Comment
les sons jouaient avec moi. Un pas, un pas en bas. Je me touche le
visage, un bruit d'eau.
Ces
bruits de flotte... à en devenir... aquaphobique ? Potophobe ?
Comment dit-on ?
Non
je n'ai pas attrapé la phobie de l'eau. Je n'ai pas la phobie des
bruits. J'ai seulement terriblement peur de réentendre ces sons, un
jour. Pas n'importe quels sons. Ceux-là. Ça.
Je
crois que la responsabilité de Manu dans cette affaire est assez
mince. J'ai envie de le croire. Jamais il ne m'aurait fait de mal en
d'autres... circonstances.
Il
n'aura jamais obtenu le divorce. Pas besoin, il lui suffisait de
mourir, triste et seul, dans la haine de soi et la peur.
Je
suis vide. Je suis un trou ambulant, béant. Une spirale centrée sur
le vide.
Mais
c'est bien que les parents de Laurent m'aient répondu. Après la
tuerie à l'église et ce qui a suivi, c'était pas gagné.
Les
journaux en ont parlé. Mais même ceux à sensation n'ont pas tenu
la distance. Trop de pudeur, trop d'incohérences, trop peu de
témoignages maintenus (presque tous contradictoires) ; trop de
non-sens.
Trop
de trouille, partout.
D'ailleurs,
les flics n'ont pas voulu me croire quand je leur ai dit que nous
n'étions pas seuls, Manu et moi, ce soir là. Ils ont bien pigé par
contre que mon jeune mari m'avait sacrément amochée...
Les
parents Naibi ont donc accepté de me recevoir... et de m'héberger.
Ils m'ont même fait comprendre que je pouvais rester aussi longtemps
que je voulais. Ou presque. Ils s'en foutent un peu, au fond, ils se
foutent de tout. Ils me disent que ça leur fait du bien que je sois
là, qu'ils sont heureux de rencontrer une amie de Laurent, mais je
sens bien qu'ils sont loin, loin du bien, loin d'être heureux. Loin
d'eux-mêmes.
Je
me reconnais en eux. On porte le même vide. Nous continuons à
secouer mollement nos os. Nous continuons à errer dans le flou, un
flou nouveau. Un nouveau monde de vide. Nous errons dans nos jardins
secrets, sans même nous rendre compte que nous crevons de faim. De
peur que ce monde nous empoisonne davantage, nous aurons faim, à
jamais. Mais la faim ne nous tuera pas : nous sommes en enfer.
Je
pense comme un livre. Une chose étrange qui s'est formée depuis ces
évènements de l'impossible : mes pensées s'organisent et je
pense en phrases complètes, avec un vocabulaire choisi. Comme si je
tournais en rond, enfermée à l'intérieur de mon esprit et que je
pansais l'angoisse en notant tout sur les pages d'un journal intime
mental.
Voilà
à quoi en est réduite mon intimité : des cercles de
paragraphes concentriques et auto-référencés comme cache-misère.
Des questions sans réponse et des beaux mots pour emballer ma
chiasse.
...cette
dernière phrase, du Laurent tout craché.
Laurent,
tu laisses une belle merde derrière toi. Une traînée de cadavres
avec, entre autres, un shoot'em
up dans une
église, une attaque de chiens inexpliquée et ta disparition
mystérieuse que personne n'a vraiment l'air de vouloir éclaircir.
Par
contre, clairement, pour tes parents tu es mort. Ça ne leur fait pas
plaisir de penser ça, mais pour eux tu n'es plus. Moi je me
demandais (et je me le demande parfois encore) où tu peux bien être
passé, mais quelque chose, une chose encore horrible et démente, me
pousse à les croire.
Tu
t'es enfui de l'église et plus personne ne t'a jamais revu. Point.
L'histoire s'arrête là.
Tu
nous aurais craché à la gueule « et démerdez-vous,
bordel ! » que ça n'aurait pas changé grand chose.
Personne
ne pourra jamais expliquer pourquoi certains t'ont vu armé d'un
énorme revolver, pourquoi d'autres ont soutenu, pendant un temps,
que c'était ton seul et stupide index nu qui avait tué des gens
(précisant même que ça n'avait pas marché à chaque fois), ou
pourquoi on n'a retrouvé aucune balle. Certains encore soutiennent
t'avoir vu simplement armé d'une guitare, auprès du prêtre, à
chanter pour ton ami mort. Ce ne serait pas le moins improbable. Et
personne ne sait d'où sont sortis ces chiens, ni ce qu'ils sont
devenus (on a essayé de te représenter en dresseur fou de
chiens-tueurs mais, comme le reste, ça s'est effondré comme un
soufflé).
Personne
ne demande pourquoi la police n'a pas l'air très pressée de te
retrouver.
C'est
peut-être qu'au fond, on sait tous. Cette drôle forme de savoir qui
peut se passer de la compréhension : il ne faut pas creuser, on
risque de ne pas du tout aimer ce qu'on va trouver.
Voilà
où j'en suis : je joue les présomptueuses sensiblement
désincarnées. Alors que je sais que dalle. J'ai juste la trouille à
rebours, à l'envers. Si j'étais allée chez toi te retrouver,
aurais-je fini morte, moi aussi ? Aurais-je pu empêcher quoique
ce soit ou me serais-je pris une balle mystère dans la citrouille ?
Et
ce Frédéric Leguenne, chez moi en Bretagne, qui a perdu son frère.
Un certain Julien qui était hospitalisé depuis que
Laurent lui avait fracassé la tête. Pas mort : disparu, lui
aussi. Introuvable, envolé de l'hôpital. Comme par magie.
Je
renonce à y réfléchir, je m'en fous. Il y a forcément un lien
avec Laurent puisqu'il semble avoir été le catalyseur de toute
cette merde – vocabulaire choisi et adapté.
Ce
Fred a essayé de me rencontrer, et il a réussi ; une fois. Il
a l'air d'un fou qui chasse les sorcières. La sorcière étant
Laurent. Pour lui, il est coupable de tout. Moi ça m'étonnerait
qu'il ait voulu tout cela. Peut-être je me trompe...
Je
suis presque certaine qu'il s'est retrouvé lancé dans une machine
qu'il n'a pas su arrêter. Un truc dans le genre.
Il
a disparu et il nous laisse donc ce monde nouveau avec toutes ces
questions ineptes. Et démerdez-vous !
Ses
parents m'ont refilé une pile de cassettes, de CD et de vinyles, les
groupes dans lesquels il a joué. C'est aussi varié que chaotique et
ça ne raconte pas grand-chose d'autre qu'un certain mal-être
confus, un humour sarcastique et, j'aime le croire, un grand amour de
la musique et de ses mondes parallèles.
Du
Rock'n'roll, du Punk et du Blues.
Juste
de la musique. De la musique, un point c'est tout. Je n'apprendrai
rien à écouter ces enregistrements bon marché.
Alors
pourquoi je les emmènerais avec moi ?
Les
parents de Laurent me font dormir dans la chambre d'Arnaud. Ils ont
vidé celle de Laurent et la porte est fermée à clefs. Je n'aurais
eu aucune envie d'y dormir, de toutes façons, mon masochisme semble
avoir des limites. Sinistre... Leurs deux fils sont morts,
maintenant. Tous leurs enfants sont morts. Atroce.
Dehors,
un chat miaule en boucle. C'est agaçant.
Je
crois que je ne vais pas rester encore très longtemps. Mon séjour
ici ne m'aidera guère. Je n'aurai pas plus de réponses. Au moins,
je sais ça. Et ces gens sont des gens bien. Ils sont passés de
l'autre côté du jugement. Ils sont loin mais ils sont encore là.
Ils ont été si gentils avec moi, mais je crains le transfert. Il
faut que je parte. La Bretagne me manque, même si je refuse de
retourner dans notre maison. Jamais je n'y refoutrai les pieds.
Heureusement, ma famille m'aide pour le déménagement. Ils font les
cartons, en triant comme ils peuvent, moi je n'aurai qu'à les
déballer dans mon nouveau chez moi. Et je referai un tri
impitoyable. Je garderai peu de choses.
Non
mais tuez-moi ce chat !
La
nuit est plus fraîche par ici et l'automne arrive, insidieux. Mais
j'aime bien l'odeur d'humus qui enivre dès qu'on met le nez dehors.
J'ai
repéré un étang très romantique, pas très loin d'ici. J'y
retournerais bien une dernière fois avant de partir.
Par
contre, je ne ressens pas le besoin d'aller au cimetière vérifier
qu'il y a bien une tombe au nom de la belle Maëlle Trautman. Je
crois les Naibi sur parole.
Cette
fille morte s'en est pris à moi, à nous. Sans doute à Sonia,
aussi. Comment je le sais ? Je le sens bien au fond de mes
tripes.
Mais
la chose qui se cachait chez nous, ce soir terrible dans notre grande
maison, ne doit pas avoir beaucoup en commun avec celle qui gît sous
sa grosse plaque de marbre. D'après le peu que j'en ai entendu,
celle-ci gagnait à être connue.
Moi
je ne préfère pas. Ça me terrifie et ça ne m'apporterait rien. Je
ne veux plus rien entendre à son sujet.
Peut-être
ai-je tort, peut-être que connaître comment elle était de son
vivant me permettrait de l'humaniser et de refouler l'image du
monstre. Avec le temps, ça devrait être possible, non ?
Les
parents de Laurent m'ont fait comprendre pudiquement qu'il n'était
sans doute pas pour rien dans le suicide de Maëlle. « La
petite allait mal, très mal et lui... n'allait guère mieux. Il n'a
pas su gérer tout ça. Il était très dur avec elle. », m'a
dit sa mère et c'est à peu près tout.
Moi
je pense qu'on ne peut pas empêcher qui que ce soit de se donner la
mort. Si t'as vraiment envie de te foutre en l'air, les autres autour
ne pourront rien faire pour t'en empêcher.
Coller
ça sur le dos de Laurent était excessif, dangereux, même. Comme
quoi ces gens bien ne sont peut-être pas ce qu'ils paraissent. Pas
très étonnant qu'il ait dérapé dans sa tête. On est souvent
cruel avec ceux qu'on aime, racontent les cons. Mais c'est pas lui
qui a appuyé sur la détente, non ? Enfin, pas cette fois...
Pour
Sonia, on a également conclu au suicide. C'est officiel.
Tous
ces suicidés... cette maladie contagieuse comme pire des salopes...
Je
frissonne en me glissant sous la couette.
Maëlle...
Je parlais de gâchette mais je ne sais pas comment elle a procédé,
en vrai. Et je ne tiens pas à le savoir. Façon de parler... avec
moi-même.
Maintenant
j'aimerais dormir. Et si je rêve, j'aimerais réussir à me dire...
Juste des rêves. Des rêves, un point c'est tout. Je n'apprendrai
rien à écouter ces rêves idiots.
Le
chat miaule et miaule encore. Je vais finir par fermer la fenêtre.
Mais il y a des bruits bien pires.
Je
le tiens entre mes mains. C'est un livre. C'est lui et c'est un livre
aussi.
Je
sais qu'il veut m'apporter la connaissance.
Je
ressens la connaissance, je la tiens, je l'ai !
Il
me murmure que l'on vive ou que l'on meure, tout continue. C'est
bien. Et si l'on meurt, on ne meurt jamais vraiment. C'est bien
aussi.
C'est
la fin du monde, encore, depuis toujours, à jamais. Pas de problème.
Il y a tant de mondes.
Les
pages me coulent entre les doigts, les pages se changent en eau. Le
livre d'eau m'explique encore tant de choses, que je sens. Que je
comprends. Des choses qui n'ont pas de mots. Des bonnes choses, des
choses vraies, de l'espoir.
C'est
la fin du monde et je me sens tellement bien.
C'est
la fin du monde et je suis si heureuse.
Je
ris.
L'eau
coule sur moi. Elle est chaude. Elle me fait du bien, elle fait du
bien à ma peau, elle fait du bien à mon sexe.
Je
nage dans la mer en riant.
Je
ris aussi car c'est un cadeau. Je le sens, je comprends.
Il
me fait un cadeau.
Ceci
est son rêve.
Je
n'ai plus à m'inquiéter.
Il
y a plein de gens autour de moi. Ils nagent, ils se laissent porter
par les vagues, ils s'appellent en riant, nous sommes tous là. Nous
sommes une mer de mondes.
Je
sais que je rêve. Il faut que je me souvienne, il faut que je
retienne.
Quels
sont les mots ? Les mots ont filé en eau, nous nageons dans la
connaissance mais il faudra que je le raconte !
A
mon réveil, il faut que je le raconte.
FIN.
Bermont,
le 15/10/13